[✍️ Point de vue ]
Très largement boisée et traversée par la Bièvre, la commune de Jouy-en-Josas est située dans les Yvelines à la limite de l’Essonne, à 5km de Versailles et 15km de Paris. Elle s’étend sur 10 km² et compte 7 928 habitants.
Pierre Narring, conseiller municipal de Jouy-en-Josas délégué à la prospective territoriale a accepté de nous recevoir en juillet dernier pour échanger sur les enjeux de transition écologique à l’échelle communale et plus particulièrement sur le Conseil local de développement et de prospective (CLDP) de la commune. Nous proposons dans cet article un retour sur cet entretien et sur les enjeux de coopérations territoriales qu’il dessine.
Portrait de Pierre Narring © degré
Jouy-en-Josas, une commune engagée dans la transition écologique depuis de nombreuses années
Depuis de plusieurs années, Jouy-en-Josas mène de nombreuses actions en faveur de la transition écologique. Dès 2009, la commune avait lancé un audit énergétique de ses bâtiments publics et affirme « avoir réussi à réduire de 25 à 30% [ses] consommations d’énergie grâce aux travaux d’isolation et de chauffage engagés »1 .
En 2015, la commune fait partie des 212 territoires désignés « Territoires à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV)2 , et la ville s’est engagé « à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 %, sa consommation d’énergie de 20 %, et à atteindre 32 % de production d’énergie renouvelable dans la consommation énergétique finale d’ici 2030. »3
Plus récemment, de nombreuses autres actions ont été lancées : rénovation de l’éclairage public et extinction de l’éclairage durant la nuit, études de faisabilité pour la réalisation d’un réseau de chaleur, exonération de 50% de taxe foncière pour les propriétaires réalisant des travaux de rénovation énergétique, mise en place d’une gestion différenciée des espaces verts, remplacement progressif de la flotte de véhicules thermiques municipaux par des véhicules électriques, élaboration d’un plan vélo et réalisation de plusieurs aménagements, élaboration d’une charte de l’arbre et engagement dans un programme de plantation d’au moins 80 arbres par an depuis 2020, renaturation de la Bièvre, obtention du Label Territoire engagé pour la Nature, installation d’un poulailler dans une école pour réduire les déchets, ouverture d’une épicerie participative, installation d’une ressourcerie, organisation d’ateliers de la Fresque du climat… Ces actions sont recensées dans le rapport environnemental de la commune, réalisé de manière volontaire en 2022, qui témoigne de sa détermination à accomplir la transition écologique.
Rapport environnemental 2022 de Jouy-en-Josas
A l’origine de la création du Conseil local de développement et de prospective
« La prospective est une démarche de réflexion sur l’avenir et d’exploration des futurs possibles (les futuribles), qui vise à éclairer les décisions et les actions collectives en intégrant les enjeux du temps long.»
Futuribles 4
Ancien adjoint à l’urbanisme, Pierre Narring est depuis 2020 conseiller municipal délégué à la prospective territoriale de la commune de Jouy-en-Josas. Ingénieur et urbaniste passionné de prospective, il est à l’origine de la création du Conseil local de développement et de prospective (CLDP) de la commune en 2021, une démarche originale, en particulier pour une commune de cette taille.
Le CLDP est une instance de réflexion non décisionnelle qui se veut indépendante, constituée d’une dizaine de membres aux profils variés : élus, habitants engagés, représentants des acteurs économiques locaux, représentants des acteurs académiques situés à proximité (HEC, INRAE…)… Son but est de « mener […] des réflexions prospectives visant à appréhender le futur de [la] commune à moyen / long terme et à mieux préparer [le] territoire aux enjeux à venir. »5
Extrait de « L’imprimé de Jouy-en-Josas » de juin 2023
Pour construire la méthodologie de travail du CLDP, Pierre Narring s’est inspiré des méthodes de travail du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) au sein duquel il a exercé durant plusieurs années. Devenu en 2022 l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), cette instance « intervient dans les domaines de l’environnement, du climat, du développement durable, de la transition écologique, du logement, de l’urbanisme, de la politique de la ville, de l’aménagement du territoire, du paysage, de la construction, de l’énergie, des transports, des risques naturels et technologiques et de la mer. Elle contribue ainsi à la prospective, à la conception, au suivi de la mise en œuvre et à l’évaluation, à toutes les échelles géographiques, de ces politiques publiques. Elle assure également les missions d’audit et d’inspection des services du ministère. » 6
De la même manière, mais à l’échelle locale, le CLDP mène un travail de prospective à travers l’élaboration de rapports thématiques contenant des préconisations sur la trajectoire de transition écologique de la commune. Ces rapports sont présentés à l’équipe municipale, qui décide ensuite des suites à donner ; et sont également partagés auprès des acteurs locaux et de l’intercommunalité, lors d’évènements publics. Enfin, le CLDP s’est donné comme objectif complémentaire d’assurer un suivi des actions menées par la municipalité.
« Il ne s’agit pas de prévoir l’avenir mais d’imaginer des hypothèses, des scenarii possibles, en identifiant les opportunités et les menaces qui peuvent affecter notre territoire, et les décisions à prendre dans l’immédiat pour préparer le futur »
Pierre Narring, dans « L’imprimé de Jouy-en-Josas » n°48 (décembre 2023)
De premiers travaux concrets
Le CLDP se réunit en plénière tous les deux mois, et s’organise en différents groupes de travail selon les affinités et les travaux à mener.
L’un des premiers chantiers du CLDP a été de construire des scénarios prospectifs pour aider la municipalité à identifier des tendances et préparer l’avenir de la commune sur le long terme. Ainsi, 4 scénarios convoquant des imaginaires très différents ont été élaborés puis croisés pour accompagner l’équipe municipale dans son action (Jouy en développement, Jouy en autonomie, Jouy en résilience, Jouy en survivance).
Le CLDP répond également à des commandes parfois plus directes des élus, comme par exemple la réalisation d’un rapport sur le développement de la démocratie participative à Jouy-en-Josas, remis en août 2021.
Le CLDP planche sur de nombreuses autres thématiques (attractivité territoriale, autonomie en énergie et en eau, mobilités et connexion, éducation et culture…) et n’hésite pas à s’entourer d’experts (comme Futuribles7) pour alimenter la réflexion et se former.
Enfin, le CLDP fait face à un défi : trouver de nouveaux volontaires pour ne pas épuiser l’équipe en place et parvenir à maintenir constamment une diversité au sein de ses membres (en termes d’âge, de milieu social, de genre…), afin de refléter au mieux la variété des aspirations des habitants. Ainsi, Pierre Narring envisage par exemple de travailler directement avec le Conseil Municipal des Jeunes de la commune pour mieux prendre en compte les aspirations de la jeunesse.
D’une réflexion communale à un partenariat intercommunal
Par ailleurs, le CLDP a très rapidement intégré le fait que les réflexions de transition développées pour la commune de Jouy-en-Josas peuvent intéresser, inspirer voire directement concerner les communes voisines.
L’idée d’un réseau pluricommunal de prospective a ainsi vu le jour avec 6 communes partenaires. Des rencontres sont organisées tous les ans pour réfléchir à un territoire d’action commune, identifier des vulnérabilités partagées et des possibilités de coopérations (sur les enjeux d’autonomie alimentaire, de mobilité…). Suites à ces premières rencontres, la plupart des communes partenaires ont déjà constitué leur conseil local de développement et de prospective, à l’image de celui de Jouy-en-Josas, et réfléchissent ensemble au-delà de leurs périmètres administratifs respectifs (communaux et Etablissements Publics de coopération intercommunale).
Carte des communes et EPCI aux alentours de Jouy-en-Josas © degré
Certaines communes de ce réseau font partie la Communauté d’Agglomération de Paris-Saclay, d’autres de la Communauté d’Agglomération de Versailles Grand Parc (CAVGP) : c’est le cas de Jouy-en-Josas.
Or, la CAVGP ne dispose pas de Conseil de développement8, instance de démocratie participative dont la mise en place est pourtant obligatoire dans les EPCI de plus de 50 000 habitants (Versailles Grand Parc en compte plus de 250 000). De plus, la CAVGP ne dispose ni de Plan Local d’Urbanisme intercommunal, ni de Projet de territoire9, documents qui impliquent de définir une stratégie intercommunale donnant un cadre d’action aux différents bassins de vie et communes qui composent le territoire de Versailles Grand Parc.
Dans ce contexte, les réflexions du CLDP de Jouy-en-Josas et du réseau pluricommunal de prospective participent à construire un projet de coopération volontaire entre des communes qui ne sont pas toutes intégrées à une stratégie intercommunale ou à un projet de territoire.
Il est important de rappeler que des coopérations territoriales volontaires entre communes ne doivent pas être vues comme des instances concurrentes des projets intercommunaux, mais au contraire comme des initiatives permettant de construire des projets cohérents à l’échelle de bassins de vie, qui seront ensuite d’une grande aide pour favoriser l’émergence d’un projet intercommunal partagé et fédérateur.
Les coopérations territoriales, une clé face aux enjeux climatiques
En tant qu’architectes et urbanistes spécialisés dans les stratégies et projets de transition écologique, nous pensons qu’il est nécessaire de développer des coopérations territoriales de diverses natures pour faire face aux incertitudes inhérentes à la crise climatique que nous traversons.
Ces logiques de coopération territoriale permettent en effet de fédérer au-delà des périmètres administratifs, alors même que les causes et les conséquences du changement climatique dépassent bien souvent les limites de ces périmètres, et touchent ainsi plusieurs entités administratives – les inondations provoquées par la crue d’une rivière par exemple peuvent affecter l’ensemble des communes de son bassin versant, qu’elles appartiennent ou non au même EPCI.
Ainsi les enjeux climatiques actuels doivent nous pousser collectivement à repenser les périmètres d’action au-delà des limites administratives, notamment en s’appuyant sur des délimitations « géographiques » – comme les bassins versants, les massifs géologiques, les aires de répartition des espèces végétales et animales, les zones climatiques – et des délimitations « humaines » – comme les bassins de vie, les lieux collectifs ou communautaires (ou communs), ou encore les trajets.
Ces nouveaux périmètres de coopération peuvent ainsi permettre de renforcer des complémentarités et de mutualiser les moyens et les efforts entre différents territoires ou entités administratives, en mettant les bons acteurs autour de la table : dans l’exemple de la rivière en crue, il s’agit de réunir, à minima, les communes inondées, leurs EPCI, mais aussi les syndicats de gestion des eaux et des rivières.
A Jouy-en-Josas, nous pensons que le réseau pluricommunal de prospective pourrait s’appuyer sur les particularités du territoire géographique de la Haute Vallée de la Bièvre10, dont certaines parties sont classées au titre de la protection des sites naturels depuis 2000, pour construire une stratégie territoriale de long terme adaptée aux caractéristiques physiques et humaines de ce territoire.
Le périmètre découpé des sites inscrits et classés de la Haute Vallée Bièvre (source AVB via domaine-de-montclin.fr)
Ces périmètres élargis de coopération territoriale peuvent aussi aider à impliquer les citoyens dans les dynamiques de transition en les reconnectant à leurs pratiques du territoire, qui s’affranchissent largement des périmètres administratifs : ainsi, un habitant d’une commune A peut se sentir tout à fait concerné par la protection de la forêt d’une commune B s’il traverse tous les matins cette forêt pour aller travailler dans une commune C, et la protection de la forêt devient alors un enjeu pour les 3 communes A, B et C, pour des raisons différentes mais complémentaires (dynamique démographique pour la A, patrimoine naturel pour la B, préservation de l’emploi pour la C).
Au travers de notre pratique professionnelle, nous avons pu nous rendre compte du « pouvoir » d’action de ces périmètres non administratifs, notamment lors de notre travail prospectif et participatif sur le bassin versant de la Rouvre, une rivière affluente de l’Orne en Normandie.
Enfin, il nous semble essentiel de s’assurer que les impacts attendus du changement climatique ne fragiliseront pas les coopérations territoriales en cours de construction – c’est là où un travail de prospective est précieux, pour consolider au fur et à mesure les coopérations territoriales qui se développent, et garantir leur résilience à long terme. Le programme de travail du réseau pluricommunal de prospective autour de Jouy-en-Josas promet donc d’être riche et passionnant !
- https://www.jouy-en-josas.fr/developpement_durable.aspx ↩︎
- https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/territoires-energie-positive-croissance-verte ↩︎
- https://www.jouy-en-josas.fr/developpement_durable.aspx ↩︎
- https://www.futuribles.com/faq/qu-est-ce-que-la-prospective/ ↩︎
- https://www.jouy-en-josas.fr/evenement.aspx?card=3504195 ↩︎
- https://www.igedd.developpement-durable.gouv.fr/le-cgedd-devient-igedd-a3480.html ↩︎
- https://www.futuribles.com/ ↩︎
- https://conseils-de-developpement.fr/cartes-et-statistiques-codev/ ↩︎
- https://www.cnfpt.fr/s-informer/bouquets-ressources/cadre-reglementaire-du-projet-territoire ↩︎
- https://www.domaine-de-monteclin.fr/actualites/20-ans-de-classement-de-la-haute-vallee-de-la-bievre/ ↩︎