[✍️ Point de vue ]
Situé sur les communes de Billy-Berclau et Douvrin, le Parc des industries Artois-Flandres, géré par le SIZIAF (Syndicat Mixte de la Zone Industrielle Artois-Flandres), s’étend sur plus de 460 hectares. Depuis plus de 50 ans, il accueille des acteurs majeurs de l’industrie, participant activement au dynamisme économique régional.
Nous avons eu l’occasion d’échanger avec deux membres du SIZIAF : Arnaud Lecourieux, directeur général adjoint et responsable technique, et Hervé Stockman, chef de projet Pôle de vie et responsable patrimoine bâti, d’abord lors d’une visite organisée à l’occasion des 14èmes Rencontres Nationales TEPOS à Loos-en-Gohelle, puis lors d’un entretien en visioconférence. Nous proposons dans cet article un retour sur ces échanges et sur les liens entre réindustrialisation et écologie.
Le SIZIAF, une montée en puissance progressive des enjeux environnementaux
Le SIZIAF est le syndicat mixte en charge de la gestion et du développement du Parc des Industries Artois-Flandres. Au début des années 2000, le SIZIAF s’est saisi du sujet de la qualité environnementale à travers de nombreuses actions concrètes : mise en place d’un système de management environnemental, certification ISO 14001 reçue en 2005, mise en place d’une convention avec le CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement) du Pas-de-Calais pour accompagner les entreprises sur les enjeux de qualité architecturale, urbaine, paysagère et environnementale au moment de leur implantation, gestion des eaux pluviales à ciel ouvert, gestion différenciée des espaces verts, solutions de mobilités alternatives à la voiture individuelle (marche, vélo, covoiturage, transports en commun), construction de bâtiments d’activités à énergie positive (REGAIN et REGAIN BIS) dès 2010, charte chantier propre, rénovation de l’éclairage public, actions d’animation et sensibilisation auprès des entreprises pour inciter aux réductions de consommation d’eau…
Le SIZIAF s’est réellement saisi des enjeux environnementaux, de manière transversale et sur le temps long, et a su innover très en avance sur de nombreux sujets.

Le bâtiment REGAIN, livré en 2010 par l’atelier d’architecture Arietur : 500m2 de panneaux solaires photovoltaïques en toiture © Arietur

Le bâtiment à énergie positive REGAIN BIS, livré en 2015 par l’agence d’architecture Houyez : panneaux solaires photovoltaïques couvrant 100% des besoins en électricité, structure bois, isolant en fibre de bois et métisse, climatisation naturelle, toiture terrasse végétalisée, récupération des eaux pluviales pour l’arrosage et les sanitaires… © Construction 21
« Le Parc [des Industries Artois Flandre] a pris, avant d’autres, le virage de la qualité environnementale avec une politique de développement durable au sens le plus large. Ce faisant, il s’est obligé à ce que l’ensemble de ses investissements ne fassent jamais l’impasse sur l’impact environnemental. Selon moi, ils ont été visionnaires de ce que seront demain les facteurs-clés d’attractivité d’un Parc d’activités. On peut par exemple citer leur souci de qualité des constructions, leur exigence sur la gestion de l’eau, leur constance à développer la mobilité douce ou encore plus récemment, la volonté de s’emparer du sujet de la biodiversité… Tout cela concourt à un mieux vivre des salariés et des riverains du Parc mais aussi à un vrai « plus » pour l’image du Parc.»
Jean-François Caron, conseiller régional, Maire de Loos-en-Gohelle, ancien Vice Président du SIZIAF
Le « bâtiment pôle de vie » : mutualiser pour décarboner
Parmi toutes les démarches lancées par le SIZIAF, la construction du « bâtiment pôle de vie », lancée au printemps 2025, nous semble particulièrement novatrice. Le futur équipement de 1000 m2 regroupera les bureaux du SIZIAF, ainsi que des salles de réunion et espaces de travail partagés à destination des entreprises installées dans le Parc des Industries. Conçu par les architectes et urbanistes Béal & Blanckaert (au terme d’une procédure de concours d’architecture) le bâtiment sera largement constitué de matériaux biosourcés (charpente bois, murs ossature bois, isolation en coton recyclé…) et a fait l’objet d’une conception bioclimatique poussée. Des aménagements en lien avec le bâtiment sont également programmés : remise en état d’un étang de pêche, terrasse avec vue sur l’étang, aire de pique-nique largement végétalisée pouvant accueillir des foodtrucks, parcours sportifs, mares et refuges pour la biodiversité…

Le futur « bâtiment pôle de vie » du Parc des Industries Artois-Flandres © Béal & Blanckaert
Le SIZIAF a également innové dans la méthode d’élaboration de la programmation, qui a été construite sur-mesure avec les acteurs du site. Des questionnaires ont été envoyés aux salariés des entreprises pour les interroger sur les usages attendus du nouveau « bâtiment pôle de vie ». En parallèle, des rencontres ont été organisées avec les chefs d’entreprises lors d’afterworks, en plus des échanges quotidiens entre l’équipe du SIZIAF et les entreprises. Le programme a ainsi été ajusté grâce aux résultats des questionnaires et des échanges. Enfin, il est intéressant de noter qu’un panel de salariés et d’entreprises a participé au choix du lauréat du projet.

L’ensemble des aménagements en lien avec le futur « bâtiment pôle vie » © SIZIAF
Le « bâtiment pôle de vie » est novateur en ce qu’il nous permet d’entrevoir ce que serons les zones industrielles de demain : des bâtiments exemplaires bien intégrés dans des espaces paysagers qualitatifs, un travail de restauration de la biodiversité, une large ouverture aux riverains et des liens renforcés avec le territoire, des espaces partagés facilitant les mutualisations entre acteurs économiques, allant dans le sens de la sobriété et de l’écologie industrielle.
L’écologie n’est pas l’enjeu premier d’une zone industrielle
Toutefois, le SIZIAF est conscient de ses limites sur les enjeux écologiques. L’objectif premier d’une zone industrielle n’est pas l’écologie, mais la création d’activité économique. Le premier objectif du SIZIAF, c’est la création d’emploi avec la volonté d’avoir au minimum 20 emplois à l’hectare. Ainsi, même si le SIZIAF souhaite démontrer qu’un parc industriel peut être à la fois performant économiquement et exemplaire sur le plan environnemental, une zone industrielle d’une telle ampleur aura toujours un fort impact sur les milieux naturels, et ne peut être considérée comme exemplaire d’un point de vue écologique. Construire une usine fabriquant des batteries électriques participe certes à la décarbonation des mobilités à l’échelle nationale et au-delà, mais impacte très fortement le site sur lequel elle est implantée (très forte consommation électrique, matières premières qui viennent de l’autre bout de la planète, site presque entièrement imperméabilisé…).

L’usine de fabrication de batteries électriques (la gigafactory) d’ACC © ACC
Pour accélérer la décarbonation de l’industrie, on pourrait envisager à l’échelle nationale un système de sélection des entreprises basé sur des critères écologiques en priorisant l’installation d’entreprises qui participent à l’accélération de la décarbonation de notre société (production d’énergies renouvelables, fabrication de vélos, pompes à chaleur, voitures électriques, produits de construction biosourcés…) tout en ne générant quasiment aucun impact écologique sur leur site d’implantation (zéro imperméabilisation, constructions bas carbone et réversibles, pas de déchets, pas de rejets de polluants…), voir en le restaurant s’il est dégradé (dépollution, renaturation…).
Ce travail de sélection des entreprises sur des critères de modèle économique décarboné et de limitation des impacts écologiques sur le site d’implantation pourrait être fait dans un premier temps sur l’ensemble des sites « clés en main France 2030 », qui feront partie des sites industriels les plus importants de demain et sont en mesure d’avoir un effet d’entraînement sur l’ensemble du tissu industriel.
Enfin, après la création d’emploi, le second objectif du SIZIAF est de limiter au maximum les nuisances générées par la zone industrielle vis-à-vis des riverains, ce qui peut parfois indirectement avoir des impacts positifs d’un point de vue écologique (préservation de la qualité de l’air, limitation des pollutions…). C’est la question de l’acceptabilité sociale qui devient un sujet majeur lors de l’implantation de projets industriels sur un territoire parce qu’elle représente un risque politique pour les élus locaux.
S’intéresser de nouveau à l’industrie
Pour conclure, nous pensons que les architectes doivent prendre à bras le corps le sujet de la réindustrialisation. Si l’on souhaite réindustrialiser la France, il faudra réimplanter des activités industrielles non seulement dans les zones clés en main mais probablement aussi implanter des activités industrielles de taille plus modeste à proximité des espaces résidentiels.
Pour reconstruire un véritable tissu industriel qui maille le territoire, il nous faudra composer un paysage dans lequel les activités industrielles décarbonées (fabrication de vélos, voitures électriques, panneaux solaires photovoltaïques, éoliennes, pompes à chaleur, matériaux biosourcés et géosourcés, recyclage…) trouvent leur place : réintégrer l’industrie dans les paysages. Et donc penser l’industrie au regard des enjeux d’architecture et d’urbanisme. Quels matériaux ? quels volumes ? quels usages partagés avec les riverains ? quels emplois ? quelles mutualisations énergétiques ? quel degré d’ouverture au public ? quelle participation à la restauration de la biodiversité ? quelle évolutivité des bâtiments ?
Comment concilier activités industrielles décarbonées, beauté du paysage, bâtiments exemplaires, limitation des impacts sur les milieux naturels, ouverture sur le territoire et modèle économique solide ? Nous n’avons pas encore la réponse, mais nous sommes persuadés que l’architecture et l’urbanisme en détiennent une partie.