La planification écologique ne se fera pas sans l’architecture et l’urbanisme

[🧐 Analyse]

Vous avez dit planification écologique ?

Créé en juillet 2022, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), placé sous l’autorité de la Première ministre, est chargé de coordonner la planification écologique en France. Le SGPE a rendu public début juillet 2023 la première version d’un plan1 visant à accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à réduire la pression sur les écosystèmes naturels et à améliorer la gestion de nos ressources essentielles. Dans cet article, nous proposons notre analyse de ce document et de ses implications.

L’architecture et l’urbanisme, indispensables pour mener à bien la planification écologique

Tous les secteurs d’activités sont concernés par ce plan, mais nous nous focaliserons ici sur le rôle majeur que peuvent jouer l’architecture et l’urbanisme pour atteindre collectivement les objectifs fixés dans le cadre de la planification écologique.

Pour prendre la mesure de la part de ces deux disciplines dans l’atteinte des objectifs de réduction des émissions, nous avons analysé le tableau de synthèse qui recense l’ensemble des leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre identifiés par le SGPE.

Ces leviers sont répartis en 6 catégories (mieux se déplacer, mieux préserver, mieux se nourrir, mieux produire, mieux se loger, mieux consommer) et représentent un potentiel de réduction de 214 millions de tonnes équivalent CO2 entre 2019 et 2030.

Tableau des leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 2019 et 2030© SGPE, juillet 2023

Parmi ces leviers, nous avons sélectionné ceux sur lesquels l’architecture et l’urbanisme ont un impact et les avons classés en deux catégories : les leviers sur lesquels l’architecture et l’urbanisme ont un impact direct, et ceux sur lesquels l’architecture et l’urbanisme ont un impact semi-direct (le tableau détaillé des leviers que nous avons pris en compte se trouve à la fin de cet article).

Par impact direct, nous entendons qu’au terme d’une mission d’architecture ou d’urbanisme, des réductions d’émissions de gaz à effet de serre sont effectives (la réalisation d’une rénovation de logement ou d’espace public par exemple).

Par impact semi-direct, nous entendons qu’au terme d’une mission d’architecture ou d’urbanisme, des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été définis, mais que cette réduction n’est pas immédiate (élaboration d’une stratégie de rénovation des bâtiments publics en vue du lancement d’un appel d’offre par exemple).

L’impact direct de l’architecture et de l’urbanisme représente une réduction de 75 millions de tonnes équivalent CO2 entre 2019 et 2030, l’équivalent de 35% du potentiel de réduction total de l’ensemble des leviers recensés par le SGPE. Pour atteindre cet objectif de réduction des émissions, il faut :

  • multiplier les projets de rénovation globale des bâtiments tertiaires et résidentiels pour réduire leurs consommations d’énergie (Mieux produire et Mieux se loger) ;
  • développer des aménagements cyclables et piétons sécurisés et confortables pour faciliter le report modal de la voiture vers les modes doux (Mieux se déplacer) ;
  • développer des projets de réseaux de chaleur et de production d’énergies renouvelables (Mieux produire) ;
  • concentrer les projets d’aménagement dans les espaces déjà artificialisés pour se donner les moyens d’atteindre l’objectif de Zéro Artificialisation Nette2 en 2050 (Mieux préserver).
Leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre (entre 2019 et 2030) sur lesquels l’architecture et l’urbanisme ont un impact direct © degré•

L’impact semi-direct de l’architecture et de l’urbanisme représente une réduction de 31 millions de tonnes équivalent CO2 entre 2019 et 2030, l’équivalent de 15% du potentiel de réduction total de l’ensemble des leviers recensés par le SGPE. Pour atteindre cet objectif de réduction des émissions, il faut :

  • accompagner les collectivités et les propriétaires fonciers dans leur politique de gestion forestière (Mieux préserver) ;
  • inciter les acteurs du monde agricole à faire évoluer leurs pratiques pour préserver et restaurer les écosystèmes naturels via par exemple les plans alimentaires territoriaux (Mieux préserver) ;
  • accompagner les industriels et les exploitants agricoles à réduire leurs consommations d’énergie via la rénovation de leurs bâtiments d’activités (Mieux se nourrir).
Leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre (entre 2019 et 2030) sur lesquels l’architecture et l’urbanisme ont un impact semi-direct © degré•

Comment agir ? Rénover, rénover et encore rénover

Parmi les impacts directs de l’architecture que nous avons cités plus haut, agir sur la rénovation du bâti existant est peut-être le point le plus important sur lequel il faut concentrer les efforts dans les prochaines années.

Bâtiments résidentiels (immeubles, maisons individuelles…), bâtiments tertiaires (bâtiments publics, bureaux…), bâtiments industriels, bâtiments agricoles… Il est indispensable de multiplier les projets de rénovation pour réduire les consommations d’énergie et améliorer le confort de leurs occupants, en priorisant les projets de rénovation globale et performante en une seule fois (par opposition aux rénovations par étapes), en utilisant principalement des matériaux biosourcés (bois, chanvre, paille, liège, lin…) et géosourcés (terre crue, pierre…), en favorisant le réemploi de matériaux et d’éléments existants (conservation et réparation au maximum de la structure existante pour limiter la production de déchets, mise en oeuvre d’éléments de seconde main…) et en intégrant des dispositifs de production d’énergies renouvelables (mise en oeuvre de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments publics, installation de chaufferies collectives au bois…). Tout ceci en intégrant les impacts de l’évolution du climat afin de garantir aux habitant.es un confort (thermique, acoustique, visuel, olfactif) sur le long terme.

Comment agir ? Accompagner en amont pour faire bouger les lignes

En ce qui concerne les impacts indirects, le travail de réduction de ces impacts pour les architectes et urbanistes doit passer par davantage de missions d’accompagnement auprès des collectivités lcoales en amont des projets de territoire.

Préserver les prairies, replanter des haies, gérer durablement les forêts, incorporer plus de bois dans les projets de construction, privilégier la rénovation à la construction neuve pour réduire l’étalement urbain, réduire les déplacements en voiture, favoriser la densification et la renaturation… Afin d’atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’accompagner les élus et les services techniques des collectivités pour faire évoluer la commande publique : rehausser les ambitions écologiques dans les marchés publics en élaborant des cahiers des charges de qualité intégrant dès l’amont les enjeux écologiques (études de programmation), en accompagnant les élus dans le choix des offres les plus qualitatives et pertinentes lors de concours d’architecture et d’appels d’offres, en précisant et renforçant la prise en compte du climat et de la biodiversité dans les documents d’urbanisme (PLUi3, SCOT4, PLH5, PSMV6…etc), en sensibilisant et en formant les cadres territoriaux et les élus aux enjeux écologiques, à l’architecture et à l’urbanisme. La possibilité de réaliser des projets intégrant les enjeux climatiques se joue d’abord au moment de l’élaboration de la commande, qui constitue le cadre offrant aux concepteurs la capacité de proposer des projets de qualité répondant aux objectifs de la planification écologique.

Comment agir ? Impliquer les habitant.es et les acteurs locaux

Enfin, il est essentiel d’impliquer les habitant.es et l’ensemble des acteurs locaux dans la définition des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle locale. Un travail de sensibilisation doit permettre aux habitant.es de comprendre le lien entre leur mode de vie et les impacts du changement climatique, et de pouvoir contribuer à l’effort de manière juste et comprise.

Toutefois, un projet de société ne saurait se résumer à des objectifs de décarbonation. De plus, une multiplicité de moyens différents existent, avec des implications différentes, pour parvenir au même objectif de décarbonation.

Par exemple, installer 100m2 de panneaux photovoltaïques pour produire de l’énergie peut être fait de diverses manières, ayant chacune des conséquences sociales, économiques, environnementales très différentes :

  • une commune peut installer les panneaux sur un bâtiment public existant et faire de l’autoconsommation collective qui permettra de réduire les factures d’énergie communale ;
  • un agriculteur peut mettre à disposition la surface de son nouveau hangar agricole pour qu’une entreprise privée y installe des panneaux solaires et finance une partie de la construction du hangar ;
  • des habitants peuvent décider de mettre en place un projet d’énergie renouvelable citoyen en installant des panneaux sur leurs toitures et en touchant des bénéfices en tant qu’actionnaires de la société créée.

Ainsi, tout l’enjeu de la démocratie locale est de nous permettre de choisir collectivement la méthode et les moyens à mettre en œuvre pour répondre aux grands objectifs de la planification écologique.

Une planification écologique qui reste encore à affiner

Même si la première version du plan élaboré par le SGPE va dans le bon sens, il reste encore quelques zones d’ombres, et des éléments à préciser.

Nous ne disposons pas encore du détail de l’ensemble des calculs. Le document manque de lisibilité (on ne retrouve pas les titres des catégories du tableau dans le texte). De la même manière qu’il existe un tableau dressant le panorama des leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il serait intéressant de disposer aussi d’un tableau dressant le panorama de l’ensemble des autres objectifs (hectares de zones humides à préserver, économies d’eau à réaliser, augmentation de la surface du réseau d’aires protégées, réduction de la pollution lumineuse…).

De plus, certains leviers de réduction des émissions ne sont pas suffisamment évoqués. Ainsi, l’enjeu du réemploi est principalement évoqué sous l’angle de la consommation responsable, et il n’est pas possible de savoir si le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre permis par le réemploi de matériaux existants (terres excavées, gravats, éléments de gros oeuvre et de second oeuvre…) dans les projets de rénovation des bâtiments est bien pris en compte. De la même manière, le potentiel de stockage carbone permis par l’utilisation de matériaux biosourcés (bois, paille, chanvre, lin…) dans les projets de rénovation des bâtiments n’est pas évoqué explicitement.

Enfin, une dernière question se pose : les espaces publics vont devoir faire l’objet de transformations majeures dans les prochaines années pour s’adapter notamment à l’augmentation de l’intensité des vagues de chaleur. Le document du SGPE ne mentionne pas la nécessité de rénover et transformer les espaces publics de manière compatible avec les objectifs de la planification écologique (questionner la nécessité de réaliser certains aménagements routiers, favoriser le réemploi, concevoir des aménagements sobres, mettre en oeuvre des matériaux biosourcés et géosourcés). Or, il serait important de l’évoquer pour éviter que de l’argent public ne finance des aménagements allant à l’encontre des objectifs d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre.

Le Gouvernement doit présenter une feuille de route plus détaillée le 18 septembre prochain, que nous attendons avec impatience.

S’il ne fallait retenir qu’une chose

L’architecture et l’urbanisme ont le pouvoir d’agir sur près de 50% des leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre identifiés par le SGPE (soit 106 millions de tonnes équivalent CO2 de potentiel de réduction des émissions entre 2019 et 2030). Ce sont donc des disciplines indispensables pour faire face à la crise climatique et à l’effondrement de la biodiversité.

L’architecture et l’urbanisme représentent 50% de la part des leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre (entre 2019 et 2030) © degré•

Annexes


Leviers sur lesquels l’architecture et l’urbanisme ont un rôle direct à jouer !

Catégorie
(SGPE)
Levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre
entre 2019 et 2030
(SGPE)
Rôle de l’architecture et de l’urbanismePotentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre
entre 2019 et 2030
(SGPE)
MteqCO2
Mieux se déplacerSobriété transport télétravail Rénovation et transformation du bâti (logements, tiers-lieux) pour permettre le télétravail et réduire les déplacements domicile-travail.3
Mieux se déplacerReport modal voyageursRéalisation de nouveaux aménagements cyclables, stationnements vélos, parcours piétons confortables et sécurisés pour disposer d’alternatives à la voiture, notamment pour les trajets de moins de 10km.5
Mieux préserverProduits boisMettre en œuvre plus de bois dans les projets de rénovation et de construction pour stocker du carbone dans les bâtiments.6
Mieux préserverZANRéduire l’étalement urbain en favorisant la densification, la rénovation du bâti et la renaturation d’espaces artificialisés.4
Mieux produireRénovation tertiaireRéaliser des rénovations globales des sites tertiaires.4
Mieux produireTertiaire chaudière fioul Réaliser des rénovations globales des sites tertiaires.7
Mieux produireTertiaire chaudière gaz Réaliser des rénovations globales des sites tertiaires.4
Mieux produireTertiaire biogazRéaliser des rénovations globales des sites tertiaires.1
Mieux produireSobriété tertiaire Réaliser des rénovations globales des sites tertiaires.2
Mieux produireEnr électriqueInstaller les panneaux photovoltaïques en priorité sur les bâtiments existants, et sur les zones déjà artificialisées. Développer des chaufferies collectives au bois.6
Mieux produireRéseaux de chaleurDévelopper des réseaux de chaleur dans les opérations d’aménagement en favorisant le raccordement des constructions existantes.4
Mieux produireSobriété déchets Favoriser le réemploi de matériaux et éléments existants dans les projets de rénovation pour réduire la quantité de déchets issue du secteur de la construction.1
Mieux se logerIsolation résidentiel Réaliser des rénovations globales des logements.8
Mieux se logerRésidentiel fioul Réaliser des rénovations globales des logements.9
Mieux se logerRésidentiel gaz Réaliser des rénovations globales des logements.8
Mieux se logerRésidentiel biogaz Réaliser des rénovations globales des logements.1
Mieux se logerSobriété résidentielRéaliser des rénovations globales des logements.2
Total = 75MteqCO2
35% des objectifs

Leviers sur lesquels l’architecture et l’urbanisme ont un rôle semi-direct à jouer !

Catégorie
(SGPE)
Levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre
entre 2019 et 2030
(SGPE)
Rôle de l’architecture et de l’urbanismePotentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre
entre 2019 et 2030
(SGPE)
MteqCO2
Mieux préserverForêtsÉlaboration de plans de gestion des forêts, réalisation de projets de territoire, stratégies d’adaptation…10
Mieux préserverPratiques stockantesFavoriser les pratiques agroécologiques via l’élaboration de plans alimentaires territoriaux.1
Mieux préserverHaies et AF Favoriser les pratiques agroécologiques via l’élaboration de plans alimentaires territoriaux.2
Mieux préserverPrairiesPréservation des prairies via le renforcement des dispositifs de protection dans les  documents d’urbanisme.2
Mieux se nourrirMachines agricolesRéaliser des projets de rénovation de bâtiments agricoles pour réduire leurs consommations énergétiques. Par contre, la réduction des consommations d’énergie des engins agricoles n’est pas vraiment du ressort de l’architecture et de l’urbanisme.3
Mieux produireIndustrie diffuseRéaliser des rénovations globales des bâtiments industriels pour réduire leurs consommations énergétiques. Par contre, l’évolution de l’outil industriel lui-même n’est pas vraiment du ressort de l’architecture et de l’urbanisme (machines-outils…etc). 13
Total = 31MteqCO2
15% des objectifs

  1.  https://www.gouvernement.fr/france-nation-verte ↩︎
  2.  https://www.vie-publique.fr/eclairage/287326-zero-artificialisation-nette-zan-comment-proteger-les-sols ↩︎
  3.  Plan local d’urbanisme intercommunal ↩︎
  4.  Schéma de cohérence territorial ↩︎
  5.  Programme local de l’habitat ↩︎
  6.  Plan de sauvegarde et de mise en valeur ↩︎